Communication, latéralité, émotion et attention
Communication multimodale
La communication est multimodale et en partie intentionnelle, même chez les singes non anthropoïdes. Chez les mangabés à collier, la présence de vocalisations dans une interaction permet une réduction de la complexité des interactions.
De plus, chez cette espèce, 6 types de mimiques faciales ont été identifiées. Leur expression est fonction du contexte social dans lequel se trouve l'individu ainsi que de ses caractéristiques. Parmi ces mimiques, au moins une, l’ouverture de la bouche, présente un caractère intentionnel.
Une transmission culturelle d’un geste de communication multimodale (placer la main devant la bouche pendant un cri) a été observée chez les singes hurleurs. Ce geste modifie la fréquence des cris, les rendant plus graves. Il n’a été mis en évidence que chez les individus spatialement proches et entraine une réponse accrue chez les membres du groupe de l'émetteur. Ce geste apparait donc comme un signal de communication multimodale innovant, transmis culturellement et qui pourrait jouer un rôle dans la cohésion intra-groupe et dans la compétition intergroupe.
Latéralité et état émotionnel
L’importance de l’état émotionnel du sujet sur l’expression de la latéralité a été montrée chez les Mones de Campbell. Elles orientent préférentiellement la tête vers la gauche, indiquant une latéralité hémisphérique droite, uniquement pour les sons nouveaux.
Le même type de résultat se retrouve pour la modalité visuelle chez les orques et chez les humains. En effet, les femelles orques sauvages, plus craintives et donc plus stressées que les mâles, sont latéralisées lors de l'approche de plongeurs humains (elles les regardent plus avec l’œil gauche). Les mâles, eux, ne sont pas latéralisés.
Chez l'humain, les acteurs se positionnent différemment sur scène en fonction du taux de remplissage de la salle. Plus il y a de spectateurs, plus le stress est important et plus les acteurs orientent leur tête vers la gauche. Il en est de même quand les acteurs sont face à des spectateurs hostiles comparé à des situations expérimentales où le public est amical.
Gestes et latéralité
Dans le cadre de nos travaux sur l’origine évolutive de la latéralité et du langage, il est pertinent de s’intéresser aux gestes entre individus de la même espèce. Peu de choses en effet sont connues sur la latéralité gestuelle intraspécifique chez les primates. Nos études montrent que lors d’interactions entre individus de la même espèce, les gorilles et les chimpanzés utilisent préférentiellement leur main droite, en particulier lorsque le contexte social est négatif.
L’implication de l’hémisphère gauche chez l’humain, d’une part dans le langage (discours et gestes) et d’autre part dans les actions manuelles n’est pas non plus clairement identifiée. Chez l'humain, il y a une prédominance de l’hémisphère gauche pour les gestes et les activités motrices complexes. Le pattern de latéralité est lié principalement aux caractéristiques démographiques des sujets (âge, sexe, nationalité). L’étude sur le terrain (gestes observés lors de matchs de beach volley) a montré également que les athlètes étaient d’avantage droitier pour des gestes émis en situation négative. Mais la pression sociale peut également moduler la latéralité de l’humain si l’on se réfère à un geste courant en France : la bise sur la joue. Un biais populationnel existe, mais le sens de ce biais varie suivant les villes.
Gestes et attention
L’influence du contexte émotionnel sur la production de gestes s'observe chez les primates non-humains. Ces études permettent de nous intéresser à l’origine évolutive de la latéralité manuelle et du langage.
Etre sensible à l’état attentionnel de l’autre et plus particulièrement à l’expérimentateur a déjà été montré précédemment ; les gestes de quémande ne se font effectivement que lorsque l’humain est attentif et disponible. Mais en utilisant un dispositif particulier où l’expérimentateur était en cage et avait la possibilité de tourner sur lui-même alors que les mangabés pouvaient se déplacer autour de la cage, nous avons constaté que lorsque l’expérimentateur se plaçait de dos par rapport au singe, celui-ci n’essayait pas d’attirer l’attention de l’expérimentateur (geste bruyant, vocalisations) mais contournait la cage et allait se placer en face de l’expérimentateur. Globalement, la communication visuelle chez les mangabés apparait être intentionnelle mais est beaucoup moins flexible que ce qui a été montré chez les grands singes.
Les précurseurs de la syntaxe et sémantique du langage
On peut trouver des précurseurs du langage humain dans certains aspects de la communication vocale des primates non-humains. Certains primates pallient à leur manque de flexibilité vocale en combinant des cris fixes en séquences plus complexes. Ainsi certaines vocalisations sont composées d’éléments séparables dont la combinaison peut créer des sons différents. C'est le cas chez les Dianes qui produisent 3 unités de cris de contact R, L et A émises séparément ou combinées. Les cris sociaux des Dianes présentent des traits morpho-sémantiques permettant d’encoder l’identité de l’émetteur et son état émotionnel. Chez les mones de Campbell, les mâles signalent la nature et le degré du danger par des cris avec suffixation : Krak pour les léopards et Krak-oo pour un danger moins important.
Mones de Campbell et Dianes sont souvent observées en groupes mixtes dans la nature. Un travail de repasse sur le terrain a montré que les Dianes utilisent les cris des Mones dont la présence ou non de suffixation pour adopter le comportement adapté au danger signalé.
La comparaison des réactions des Mones et des Dianes à des combinaisons de vocalisations naturelles ou créées artificiellement en labo, a permis de montrer via des expériences de repasse, l’existence d’un processus syntaxique chez les mâles comme chez les femelles.